L'addiction au travail

Wayne Edward Oates, qui fut professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à l’Ecole de médecine de l’Université de Louisville, évoque, en 1971, le « workaholism » - rapprochement de « work » et « alcoholism » - dans son livre « Confessions of a workaholic » dans lequel il décrit le rapport pathologique qu’il entretenait avec son travail. Il y parlait d’une « compulsion ou d’un besoin incontrôlable de travailler incessamment » (id. perte de contrôle). Déjà avant lui, Ferenczi au début du 20ème siècle, écrivait sur la « névrose du dimanche », la décrivant comme la « maladie psychologique de ceux qui, émotionnellement soutenus par le travail, redoutent la vacuité du jour de repos ».

Qu’est-ce que l’addiction au travail ? Qui sont les travailleurs « workaholics » ? A partir de quand faut-il s’inquiéter sur son rapport au travail ? Existe-t-il une prise en charge pour un addict au travail ?

 

Qu’est-ce que l’addiction au travail

Comme les autres addictions, l’addiction au travail est définie par la perte de contrôle sur le comportement (de travail) et sa poursuite en dépit des dommages, avec une origine multifactorielle faisant intervenir la triade « objet addictif - individu - environnement » décrite par Claude Olievenstein. « Ils [les workaholics] ont des pulsions à travailler qui sont ingérables », des envies, des « craving »1, constate Laurent Karila, psychiatre. Le Pr M. Lejoyeux, psychiatre définit le workaholic comme « une personne qui a un besoin de travailler en permanence et une sensation de manque lors des interruptions de travail  »2, signant la centration du sujet autour de l’objet addictif. Le travail dicte la durée et la fréquence des périodes de repos, de détente ou d’intimité.

La WART (Work Addiction Risk Test) et la WorkBatt (Workaholism Battery) sont des exemples d’outils de dépistage et de diagnostic utilisables dans ce contexte.

A l’heure actuelle, l’addiction au travail n’est pas reconnue en tant que telle par les grandes classifications diagnostiques (CIM-11, DSM-5).

 

Quel travailleur « workaholic » suis-je ?

 Plusieurs types de profils sont décrits dans la littérature scientifique. J.T. Spence et  A.S. Robbins3, dans une étude menée en 1992, ont proposé une classification avec 6 types de travailleurs (workaholic, travailleur enthousiaste, workaholic enthousiaste, travailleur non impliqué, travailleur serein, travailleur désabusé), construits en fonction de 3 critères : l’implication au travail, la satisfaction au travail et la contrainte perçue.

 

Qu’est-ce qui distingue un accro au travail d’un travailleur qui s’investit beaucoup dans son activité professionnelle ?

Toujours selon J.T. Spence et A.S. Robbins4, le workaholic se sent dans la contrainte et se montre très impliqué dans son travail, sans y trouver de satisfaction.
Son rapport au travail induit des conséquences négatives. Pour autant, lorsqu’il ne travaille pas, « l’accro » se sent très mal, il est en manque, en sevrage. Le travail lui est l’équivalent de la dose de nicotine, de cocaïne, de sexe, etc., pour d’autres « addicts ».

Au quotidien :

 

Les causes de l’addiction au travail

 Des facteurs individuels, environnementaux et liés à l’objet addictif peuvent expliquer ce rapport au travail :

 

 

Epidémiologie

Dans le monde8...

Aux Etats-Unis, Spence et Robbins9  ont montré qu’au sein d’une population de 291 travailleurs en académie, 13 % des femmes et 8 % des hommes  présentaient des critères de workaholiques. En Norvège10, le pourcentage de workaholiques dans l'enquête menée chez des employés était de 12, 3 %.

 

... Et en France

On retrouve trois études principales. Une a été réalisée en 2005 chez des personnels navigants11  et a montré un risque de 8 % (risque élevé) d’addiction au travail. La deuxième étude, était une enquête menée auprès de salariés parisiens12. Elle a relevé 12 % de salariés à risque. La troisième a interrogé les médecins du CHU de Nantes13 et a souligné que 13,3 % sont addicts et 34,7 % à risque.

 

Quelles peuvent-être les conséquences du workaholisme ?

Les dommages peuvent être de tout ordre : addictologiques, thymiques, somatiques, socio-familiaux,  professionnels, financiers.

On retrouve notamment :

  

La prise en charge

La prise en charge est majoritairement ambulatoire.
Le principal traitement repose sur une thérapie de type cognitivo-comportementale. Celle-ci comporte plusieurs axes : un axe comportemental (modifier le comportement), un axe cognitif (restructuration des pensées erronées) et émotionnel (gestion des émotions). Il peut s’agir d’apprendre à se programmer des lieux et des moments où le travail n’a pas droit de cité, sans objet connecté, à organiser des vacances et les prendre, à se fixer une heure de départ le vendredi soir même s’il reste du travail, à différer une réponse à un mail. Il est également important de développer des alternatives comportementales, si possible, remplissant les mêmes « missions » que l’objet addictif, comme par exemple : aller marcher seul pour se détendre, reprendre d’anciens loisirs pour retrouver d’autres sources d’émotions positives et agréables (écouter de la musique, lire...).
L’apport médicamenteux se limite à la prise en charge des comorbidités, car il n’existe pas de traitement spécifique.

 

La prévention

Le « burn out » du salarié peut être le « déclic » qui va faire que les instances chargées de la santé au travail vont réagir et s’interroger sur des facteurs éventuels de risques psychosociaux sur le terrain et d’addiction au travail. Les personnels de la santé au travail ont également un rôle d’information voire de prévention à jouer. Un étude sur les conditions de travail dans l’entreprise ou l’administration peut permettre de repérer puis de prévenir les éventuels facteurs favorisant le développement de l’addiction au travail. L’examen médical ainsi que l’entretien infirmier peuvent aussi permettre de repérer les salariés à risque18.

 

Quelques conseils de lecture

Hache P. Workaholisme : les dangers de l’addiction au travail. Hygiène et sécurité du travail. 2017;246:6-7

 

Karila L, Coscas S. L'addiction au travail. Dans: Reynaud M, Karila L, Aubin HJ, Benyamina A. Traité d'addictologe. 2e ed. Paris: Lavoisier; 2016. p. 818-822.

 

Lejoyeux M. Addiction au travail : êtes-vous un "workaholic'" qui s'ignore ? Science et avenir, octobre 2015

 

Scheen AJ.  « Workaholism » :  la dépendance au travail, une autre forme d’addiction. Rev Med Liege. 2013;68(5-6):371-6.

 

Bouteyre  E. L'addiction au travail. Dans: Varescon I. Les addictions comportementales, Paris: Mardaga; 2009. p. 205-35.

 

Limosin F. L’addiction au travail (workaholism). La Lettre du Psychiatre. 2008;IV(5):140-3.

 

Et encore...

L’actualité sur l'addiction au travail (workaholism) dans l’espace documentaire de l’IFAC

 

 

 

Karila L, Coscas S. L'addiction au travail. Dans: Reynaud M, Karila L, Aubin HJ, Benyamina A. Traité d'addictologe. 2e ed. Paris: Lavoisier; 2016. p. 818-822.

2 Propos tenu lors des Entretiens de Bichat qui se sont tenus à Paris du 8 au 10 octobre 2015

3 Spence JT., Robbins AS. Workaholism : definition, measurement, and preliminary results. J Pers Assess.1992;58(1):160-78

4 Cf note 3

5 Burke RJ, Matthiesen SB, Pallesen S. Personality correlates of workaholism. Personality and Individual Differences Pers Individ Dif. 2006;40(6):1223-33 - Sharma J, Sharma P. Workaholism and its correlates: A study of academicians. International Journal of Management and Business Research. 2011;1(3):151-60 - Kimberly SS, Keirsten SM, Miceli MP. An Exploration of the Meaning and Consequences of Workaholism. Human Relations. 1997;50(3):287–314.

6 Clark MA, Lelchook AM, Taylor ML. Beyond the Big Five: How narcissism, perfectionism, and dispositional affect relate to workaholism. Pers Individ Dif. 2010;48(7):786-91.

7 Guédon   D, Bernaud JL. Le workaholisme dans une université française : une perspective transactionnelle. Pratiques Psychologiques. 2015;21(1):71-85.

8 Burcoveanu T. Workaholisme : état des connaissances. Références en santé au travail. 2014;139:143-51

9 Cf note 3

10 Andreassen CS, Griffiths MD, Hetland J, Kravina L, Jensen F, Pallesen S. The prevalence of workaholism: a survey study in a nationally representative sample of Norwegian employees. PLoS One. 2014;9(8):e102446.

11 Colas-Benayoun MD. Les addictions comportementales : étude en milieu professionnel aéronautique. Alcoologie et addictologie. 2005;27(3):211-65.

12 Taghavi.L. Workaholisme. Enquête au sein d’une population de salariés parisiens. Réf Santé Trav. 2012 ;131 :33-9

13 Rezvani A., Bouju G. , Keriven-Dessomme B., Moret L., Grall-Bronnec M. Workaholism: are physicians at risk? Occup Med. 2014;64(6):410-416

14 Burke RJ, Matthiesen SB. Workaholism among Norwegian journalists: antecedents and consequences. Stress & Health. 2004;20(5):301-8

15 Machado T, Desrumaux P, Doseb E. L’addiction au travail : quels effets de la charge de travail, de la dissonance émotionnelle et du surinvestissement ? Pratiques Psychologiques. 2015;21(2):105-120 et et cf note 7

16 Naughton TJ. A conceptual view of workaholism and implications for career counseling and research. Career Dev Q. 1987;35(3):180-7 - Porter G. Organizational impact of workaholism: Suggestions for researching the negative outcomes of excessive work. J Occup Health Psychol. 1996;1(1):70-84.

17 Balducci C, Cecchin  M, Fraccaroli F,  Schaufedi WB. Exploring the relationship between workaholism and workplace aggressive behaviour: the role of job-related emotion. Pers Individ Dif. 2012;53(5):629-34.

18  Cf note 8.

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